mardi 3 octobre 2017

Wisconsin, entre patriotisme et football

Le Wisconsin est un état du nord du pays, coincé entre le Canada et le lac Michigan. Un vaste territoire agricole (Wisconsin en langage amérindien voulant dire « là où la terre est verte ») de seulement six millions d'habitants. Le territoire a essentiellement été colonisé par des immigrés allemands, suisse et scandinaves. Madison, capitale d'état, pourrait passer pour une petite ville presque anodine mais le dôme de son capitole (le deuxième du pays après celui de Washington DC) rappelle l'importance politique de la cité. La plus grande ville c'est Milwaukee. Un demi million d'habitants regroupé au bord du lac Michigan. A l'origine, la ville était aussi importante que Chicago, mais la croissance n'a pas été la même. C'est ce qui en fait le charme. Au delà des gratte-ciels du centre, la ville se compose de quartiers de maisons traditionnelles en bois posées le long de longues rues arborées. Les maisons sont assez disparates et colorées. Certaines se divisent en trois ou quatre appartements. Je loge dans un appartement de l'une d'entre elle, chez Alex, dans le quartier de Riverwest. Un quartier qui semble assez dynamique (radio locale, supermarché coopératif, musique live...). Alex, c'est mon hôte via le site couchsurfing. 






J'avais privilégié ce site pour pouvoir me rapprocher des gens locaux et partager leur quotidien. Mais au mois d'août, cela a été sans grand succès sur des villes comme Vancouver, Seattle ou Portland. Je me suis alors rabattu sur les solutions du site airbnb, en prenant une chambre dans un logement partagé. Sur ce site on trouve de tout, et cela est assez révélateur de notre société. Cela va de l'usine impersonnelle à l'échange convivial. Il y a ceux qui proposent quatre ou cinq chambres dans des maisons entières où tous les accès se font par des codes numériques et où on ne voit jamais l'hôte car la communication se fait par mail. Il y a ceux qui offrent une pièce de leur logement pour arrondir leur fin de mois et qui sont aux petits soins. Dans ces logements partagés, on bénéficie du confort tout en croisant beaucoup de monde. Il y a des touristes bien sûr qui comme moi optent pour cette alternative à l'hôtel. Et il y a des colocataires à l'année ou des propriétaires occupants. C'est vers ceux là que j'essaie d'aller dans mes choix de réservations, car l'échange est plus intéressant. Pour cela, on décortique les annonces et on n'hésite pas à sortir des quartiers centraux quitte à passer du temps dans les transports en commun.

Alex donc, ce sera mon premier hôte via couchsurfing. Professeur des écoles et très impliqué dans la vie locale, il déroule un agenda très chargé au cours duquel on aura tout de même le temps de descendre une paire de bières et d'échanger sur sa ville. Comme à chaque fois le sujet de Trump arrive rapidement sur le tapis, puis celui de Marine Le Pen. C'est incroyable le nombre de gens qui la connaisse outre Atlantique. Je lui présente avec humour le « couscous gate » qui touche actuellement le FN. 
 


Milwaukee, c'est aussi la capitale américaine de la bière (culture germanique oblige). J'en profite pour visiter la brasserie Miller, la plus grande et la plus ancienne de la ville. La visite est gratuite (« Quand c'est gratuit, c'est que c'est toi le produit »). Ça ne manque pas, on débute par vingt minutes de film pour vanter tous les mérites de la marque. En Europe, sur une visite du genre, on s'attend à découvrir les secrets d'assemblage et de fermentation. Et bien ici, on préfère s’attarder sur le packaging, les bénéfices, les chaînes d'embouteillages et présenter les records de mises en bouteille en temps et en volume. Et ce devant un auditoire conquis. Je pense que le marketing est considéré comme un art aux États-Unis. L'usine est immense et répartie sur plusieurs grands entrepôts. La chaîne d'assemblage passe d'une bâtiment à l'autre. Au dessus de la route, on peut ainsi voir des bouteilles de bières défiler sur un tapis roulant au travers un couloir vitré. La visite se termine par une séance de dégustation en quasi open bar, à la plus grande joie des supporters de baseball venus se distraire avant le match de l'équipe locale des Brewers (les brasseurs) dans le stade tout proche qui porte le nom de la marque (Miller Park). Capitale de la bière je vous dis.




Au delà de Milwaukee, on est vraiment à la campagne. Le paysage vert s'est teinté des couleurs automnales. La région est le premier fournisseur de produit laitier du pays et cultive de nombreuses céréales (il paraît qu'ils font de la bière). On roule sur de longues lignes droites au milieu des champs, des vaches, des tracteurs, des fermes et d'authentiques granges en bois. Je m'attendais à voir de grandes exploitations à l'image du pays. Il n'en est rien, c'est une succession de petites structures familiales. Nous ne sommes pas dans l'Amérique urbaine ni dans celle des rednecks. Nous sommes dans le Midwest, ce que j'ai presque envie d’appeler l'Amérique du réel.

C'est notamment ici qu'une partie de l'élection de Trump s'est joué. Dans le Wisconsin, il a fait un point de plus que Clinton et a empoché les dix grands électeurs en jeu. Les États-Unis ce sont en quelque sorte un mélange d'union et de division. Union des Etats déjà. Union, bien sur, autour du drapeau, de l'armée et des valeurs de la famille. Mais surtout union locale. Le terme de communauté est très important, les américains se rassemblent autour des institutions locales, qu'elles qu'elles soient : église, école, université, équipe sportive. Il faut bien comprendre que les Etats-Unis sont un pays de colonisation et d'expansion. Ses habitants, descendants d'immigrés, se constituent ainsi en différentes communautés et glorifient une terre et un passé récent desquels ils se posent en ardents défenseurs. Mais derrière cette force collective de façade, la réalité c'est la division. On ne tolère pas ce qui dépasse du cadre et on se segmente par communauté, on stigmatise la divergence... Union et division. Quand le patriotisme dérive en nationalisme. Un fléau malheureusement bien au goût du jour, des deux cotés de l'océan. Concrètement au quotidien je vis dans ce folklore : omniprésence du drapeau national, musique country au supermarché, glorification des vétérans...


Je prends ensuite la direction de Green Bay, la troisième ville de l'état, qui est en fait la véritable raison de mon séjour dans le Wisconsin. C'est une ville industrielle assez commune et sans grand intérêt. La seule réelle spécificité de la ville c'est son équipe de football américain, les Packers. Une vraie belle histoire à l'américaine. Il s’agit déjà de la plus petite ville (cent mille âme) accueillant une équipe de sport professionnel aux États-Unis. Un peu comme si le Real de Madrid jouait à Albi. L'histoire commence en 1919, quand un joueur local, Earl Lambeau, décide de créer une équipe semi-professionnelle dans sa ville. Il sollicite l'aide financière de son employeur, l'Indian Packing Compagny (qui faisait de la mise en boîte de conserve de viande) et qui expliquera le nom de Packers. Le succès face à des équipes du Wisconsin et des états voisins est rapidement là, aussi dés 1921, l'équipe rejoint la toute jeune ligue professionnelle nationale. Malheureusement économiquement, c'est compliqué de suivre, et la jeune équipe présente de gros soucis financiers. Le journal local mobilise les entreprises de la région pour sauver le club. Mais ce qui sera décisif c'est le choix d'en ouvrir le capital à la population. L'engouement va aller au delà des espérances et permettre de pérenniser le club. Les Green Bays Packers ce sont aujourd’hui une des plus veilles franchises encore en activité et ce sont treize titres nationaux. Mas il s'agit surtout d'une organisation unique à but non lucratif détenue par trois cent soixante milles personnes disposant chacun d'un droit de vote. Un passionné à fondé un club, la ville l'a adopté. 




 J'ai donc profité de la succession de deux matchs à domicile en quatre jours pour accompagner les fans locaux, venus de tout le Wisconsin, dans ce stade mythique de plus de quatre vingt mille places qu'est Lambeau Field. La première rencontre est au milieu d'un dimanche après midi ensoleillé contre les Cincinnati Bengals. Les abords du stade sont très pavillonnaires. Certains font ainsi payer le stationnement sur leur bout de pelouse (de 5 à 30 dollars en fonction de la proximité). D'autres organisent des barbecues géants dans leurs jardins. C'est ainsi que j’ai atterri dans un maison entièrement décorée à la gloire des jaunes et verts parmi une trentaine de personnes en train de se restaurer. Sur le parking du stade, on déplie les auvents et on sort les fauteuils et glacières des pickups. Une odeur de friture embaume l'air. Un peu l'impression d'assister à la mise en place d'un Woodstock culinaire. La foule se presse, ce soir encore le stade sera comble. C'est l'été indien dans le Wisconsin, le mercure affiche 31°C ce qui fera de ce match rien de moins que le plus chaud joué à Green Bay, et l'occasion donc de bien penser à s'hydrater grâce aux produits de la marque Miller (ça marche le marketing!). Dans l'autre sens, le record du match le plus froid affichait -25°C pour une demi-finale de championnat en 1967 rebaptisée l'Ice bowl. Lambeau Field est un stade ouvert, à l'ancienne, je laisse imaginer le tableau.






Je me faufile dans la marée de maillots verts et regagne ma place. L'ensemble du stade étant composé d'abonnés (avec transmission de génération en génération), mes voisins s'enquièrent de ma provenance. Trois mots en français et je suis littéralement intégré à la bande. Le match sera plus serré qu'il n'aurait du l'être. A la traîne toute la partie les Packers vont égaliser dans les dernières secondes et m'offrir une prolongation. Green Bay a perdu ses six derniers matchs en prolongation. Mais devant un stade entièrement debout et dans une ambiance absolument géniale, les locaux vont finalement parvenir à s'imposer 27 à 24.






Mon deuxième match sera contre les Chicago Bears. Le voisin de l'Illinois. L'éternel rival. Le « classico » de la NFL entre deux des plus vieilles équipes de la ligue et qui se sont affrontés 194 fois depuis 1921 (avec une égalité parfaite au coup d'envoi). Sur le papier le match est censé être déséquilibré tant l'équipe de Chicago a perdu de son lustre d’antan, mais les nombreuses blessures des joueurs locaux laissent entrevoir un nouveau match serré. Je décide de passer l'avant match au milieu du « tailgate », le pique-nique géant sur le parking. L'ambiance est bon enfant, on s'amuse à s'envoyer le ballon entre fans. On se regroupe par noyaux et j'imagine qu'on se raconte les semaines respectives autour de quelques mousses et amuse-gueules. C'est un peu l'auberge espagnole, chacun se sert un peu partout. Même les fans avec le maillot adverse sont de la partie. Je rentre dans le stade et je m'arme de cheese curds, sorte de beignets de fromage, spécialité locale.


Mais avant de parler du match, vient le moment de l'hymne national. Un nouvel exemple de l'union et de la division que je décrivais plus haut. Dans la semaine, Donald Trump (désolé mais c'est un sujet de discussion assez récurrent) a fait une sortie assez remarquée sur son compte twitter. Il a demandé aux équipes de NFL de bannir les joueurs qui n'honoreraient pas l'hymne national en restant assis ou mettant le genou au sol (j'avais parlé de ce sujet lors de mon match de baseball à Oakland). Derrière l'excuse de l'union au drapeau il stigmatise une population qui ne cherche qu'à dénoncer une injustice (violences policières). Encore la division. Çà a beaucoup fait parler et débattre dans la semaine. Il y a bien sur un ensemble de personnes et célébrités qui se sont offusquées publiquement de cette demande, mais au fond je sens bien quand même que la majorité de la population approuve ces déclarations. Notamment dans le Wisconsin où 97% des gens sont blancs. Et quand pour l'hymne, un grand drapeau a été déplié sur le terrain, le stade s'est mis à scander avec ferveur « USA ! USA ! USA ! ». Le supporter devant moi arbore pour l'occasion un badge représentant le drapeau national et la mention « I stand ». Sous entendu : je me lève pour mon drapeau. La réponse est claire. Victoire Trump. Évidemment, d'un coup, ça casse un peu l'ambiance de mon côté.


Le match démarre sur les chapeaux de roues et assez rapidement les locaux prennent nettement l'ascendant. Alors que le premier quart temps se termine, une annonce micro est faite pour nous informer de la suspension du match suite à un risque d'orage. Surpris, comme mes voisins, je lève les yeux au ciel mais ne vois pas de nuage ni de menace. Je suis quand même la foule, et à peine le temps d'arriver dans les coursives qu'une pluie violente s'abat sur le stade et que des éclairs transpercent le ciel. L'orage sera bref et finalement vingt minutes plus tard nous sommes invités à regagner nos places. Je commence à essuyer ma place quand je me fait gentiment chambrer par mon voisin de derrière qui m'indique qu'en Décembre et Janvier c'est dans la neige qu'on s'assoit. Le match va finalement se dérouler sur une écrasante démonstration des joueurs de Green Bay et une victoire sans appel 35 à 14.



Entre les deux matchs j'ai exploré le comté de Door. La petite corne à l'est de l'état, sorte de presqu'île dans le lac Michigan. A en juger par le noms des localités, il est facile d'en déduire l'origine de la population (Brussels, Namur, Belgium, Luxemburg, Denmark, Poland...). L'ambiance est moins dans l'agriculture et plus dans la villégiature. Les petits villages en bord de lac se succèdent et offrent de charmantes petites plages respirant la quiétude. Comme il existe des coins à champignons ici c'est un coin à retraités.





Septembre se termine et je débute Octobre dans l'Illinois et la troisième ville du pays, Chicago. Je rends la voiture a l'aéroport, et dans le métro qui me mène au centre-ville je retrouve les sonorités allemandes et chinoises. Je suis de retour parmi les touristes. Mine de rien, j'ai passé une dizaine de jours en dehors des sentiers battus au cœur de l'Amérique. La population est vraiment sympathique mais la ferveur patriotique et les valeurs assez rigides me laissent tout de même perplexe.

Chicago est une ville vraiment paisible et sous-estimée. Posée au bord du lac Michigan, sa skyline encercle le très agréable Millenieum Park qui abrite l'Institut des arts. L'art est un mot qui colle bien à cette ville. Au cœur du parc déjà, on peut se balader au milieu de nombreuses œuvres dont le très célèbre cloud, espèce de nuage métallique où se pressent les touristes et leurs reflets. J'ai beaucoup aimé également une espèce d'immense miroir d'eau où s'animent des visages d'hommes et de femmes. L'art est dans l'air également. Chicago offre une architecture remarquable. Les gratte-ciels sont élégants et se succèdent sans sentiment de monotonie, sur une ambiance de verre et de pierre blanche. Chicago à l'élégance de son âge. Un charme de l'ancienneté qui rime toujours avec authentique jamais avec vétuste ou désuet, à l'image de son métro aérien. Sur une structure métallique, au dessus des têtes, des trains d'acier circulent bruyamment autour de stations aux planchers de bois. Et au sol, la vie grouille à chaque intersection. Proche du centre mais plus au nord, on trouve une plage de sable et un zoo gratuit. Non, sincèrement cette ville offre vraiment un magnifique cadre de vie.







 

Demain je la quitte pour rejoindre Las Vegas, où l'ambiance doit malheureusement être tout autre actuellement.

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4 commentaires:

  1. quel beau début d'aventure !! lire tes tribulations nous fait voyager.
    Continue, et profite un maximum.
    Brice

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  2. Et donc, la Miller... Avis...

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  3. Pas fan des produits classiques (High life et Lite). Trop fade, trop "marché américain".
    En revanche j'aime beaucoup la "blue moon". Ils appellent ça "white belgian style". C'est clairement pas une blanche, mais on retrouve effectivement le coté doux-amer que j'aime sur les produits belges. J'aimerais bien savoir si on trouve ça en France.

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